Protection limitée d’un concept de fast-food : l’occasion pour la Cour d’appel de rappeler la formule complète des principes applicables en la matière

  • Post published:27 juin 2022

CA Paris, 20 avril 2022, RG n°20/16999

Une franchise de restauration de « burgers gourmets » est titulaire de marques constituées des éléments « 231 EAST ST » :

Déboutée de l’intégralité de ses demandes en première instance, elle interjette appel, donnant ainsi l’occasion à la Cour de revenir sur les principes applicables en matière de (I) marques et de (II) concurrence déloyale et parasitaire.

Cette enseigne assigne en contrefaçon de marques, concurrence déloyale et parasitisme, un concurrent qui exploite, dans le cadre d’une activité de restauration rapide de burgers, le signe « 31 STREET ».

I – La protection limitée des marques invoquées

A) La validité des marques pour désigner des produits et services alimentaires

  • La distinctivité des marques

La Cour d’appel, saisie de la question de savoir si les marques invoquées, parce qu’elles suggèrent l’adresse précise et notoire à New-York, de l’atelier d’Andy Warhol, permettent – ou non – au public pertinent de rattacher les services alimentaires visés en classe 43 à une entreprise déterminée ; a considéré que :

« si les deux marques « 231 EAST ST » sont, certes, évocatrices d’un type d’adresse utilisé aux Etats Unis et, comme telles, renvoient à la culture américaine, elles ne constituent nullement l’appropriation d’une adresse, en l’absence de précision de la ville en cause notamment, et ne permettent nullement de suggérer la provenance géographique des produits et services en cause de la classe 43 ».

  • L’absence de déceptivité des marques

Dans le même ordre d’idée, la Cour retient que « les deux marques opposées, qui évoquent un type d’adresse en vigueur dans les villes américaines, ne font que renvoyer à la culture des Etats-Unis, dont sont issues les spécialités servies dans le cadre du concept de restauration exploité par la société 231 DEVELOPPEMENT ».

Rappelant que la déceptivité des marques doit s’apprécier uniquement en fonction des signes tels que déposés sans tenir compte des conditions d’exploitation, la Cour exclut « que le consommateur puisse penser qu’ils seraient produits ou proviendraient directement de ce pays. Il ne peut de même, être conduit à penser que ces restaurants se situeraient sur le territoire américain ».

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Quel qu’en soit le fondement (défaut de distinctivité ou déceptivité), la Cour confirme le jugement déféré et considère que les marques en cause n’encourent aucune nullité.

B) L’absence de déchéance des marques

L’intimée demande la déchéance des marques en raison de la nature et des conditions d’exploitation des signes litigieux qui, selon elle, ne répondraient pas aux critères d’usage sérieux dans la vie des affaires.

La Cour ne suit pas son raisonnement, relevant que :

  • les éléments produits (présentations des devantures des restaurants, extraits de site internet présentant les menus, concept et réseau, tracts publicitaires, photographies des tenues de l’équipementier, extraits des réseaux sociaux des franchisés, bons de réductions, factures d’achat de matériels publicitaires) révèlent un usage sur des supports nécessaires à l’exploitation des services visés ;
  • l’emploi sous une forme modifiée des marques (adjonction de mentions, coloris distincts), n’altèrent pas la perception que le public concerné peut en avoir s’agissant de modifications accessoires.

Le rejet de la demande reconventionnelle en déchéance se trouve ainsi confirmé.

C) L’absence de contrefaçon

L’appelante prétend que le dépôt à titre de marque des termes « 31 STREET » (au sein d’un logo comportant le vocable « Burgers » et un élément figuratif représentant ce type de sandwich), ainsi que leur exploitation à titre d’enseigne, dénomination sociale et nom de domaine, constituent des actes de contrefaçon.

La Cour n’est pas de cet avis et écarte le risque de confusion dans la mesure où les signes en présence comportent des éléments distinctifs et dominants qui diffèrent sensiblement.

Légitimement, le monopole accordé au titulaire ne lui permet pas de s’opposer à la reprise limitée à deux des trois chiffres ainsi qu’à la référence de l’abréviation « ST » qui composent ses marques.

II – L’absence de monopole sur un concept répandu de restauration rapide

Sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire, est incriminée la prétendue imitation du concept, du style de décoration intérieure et de l’ensemble des éléments de communication (logo, slogan, calligraphie des devantures) qui auraient fait le succès de l’enseigne en demande.

La Cour relève néanmoins nombre d’éléments excluant tout comportement fautif :

  • le développement depuis plusieurs années de concepts analogues de « burgers gourmets » ;
  • la banalité du slogan « less is more » repris par l’intimée ;
  • le caractère répandu des mentions commerciales telles que « le meilleur burger de la ville » employées par le concurrent ;
  • la présence de mentions légales sur le site internet de l’intimée ;
  • l’orientation distincte des campagnes publicitaires en présence, respectivement axées sur les signes « 231 EAST ST » et « 31 STREET ».

Les agissements ne constituent pas davantage des actes de parasitisme dans la mesure où les parties se placent sur un créneau distinct :

  • pour l’appelante, une restauration « autour du « gourmet burger » dans des espaces dédiés et dans un cadre reproduisant une ambiance typiquement new-yorkaise » ;
  • pour l’intimée, un concept particulier de « burger hallal ».

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Un arrêt qui semble donc justifié par l’impératif de conciliation entre droits privatifs et libre concurrence.

Solène Daguier

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