Du caractère fautif de la reproduction d’un produit phare en dehors de tout droit privatif.

  • Post published:26 août 2022

1. Le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui ne fait pas l’objet de droits privatifs peut être librement reproduit ou imité, sous réserve que cette reproduction ou imitation ne caractérise pas un comportement fautif au sens de l’article 1240 du Code civil.

Relevant de la responsabilité délictuelle, la concurrence déloyale ou parasitaire peut permettre de condamner les opérateurs peu scrupuleux du marché, sous réserve de caractériser une faute, un dommage, et surtout un lien de causalité, étant précisé que les fautes constitutives de la concurrence déloyale et du parasitisme s’apprécient différemment.

Sur le fondement de la concurrence déloyale, il appartient au demandeur d’établir un risque de confusion.

Sur celui du parasitisme, doivent être caractérisés distinctement :

  • une valeur économique individualisée générant un avantage concurrentiel et résultant d’investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel ;
  • le profit qu’en tire le concurrent indélicat.

2. Cette seconde hypothèse trouve sa pleine application, notamment lorsque le demandeur a la capacité de démontrer que son produit, objet de la copie, est le fruit de nombreux investissements consacrés à son développement et/ou sa promotion.

Instinctivement, la victime d’une copie pensera contrefaçon ce qui suppose de démontrer qu’elle détient des droits privatifs sur ledit produit imité. Or et sous réserve que l’objet reproduit soit particulièrement notoire, il est parfois inutile pour le demandeur de se perdre dans les détails de la démonstration d’une contrefaçon, au risque notamment de fragiliser ses éventuels droits privatifs sur le produit revendiqué.

Sous certaines conditions, le parasitisme constituerait en effet une alternative fructueuse ainsi que l’illustrent les arrêts suivants, rendus récemment par la Cour d’appel de Paris.

CA Paris, 28 janv. 2022, RG n°20-04831 :

1. Dans cette première affaire, il était question de la reproduction d’un masque de plongée commercialisé par un célèbre équipementier français qui, par son prix et ses caractéristiques techniques, a séduit un grand nombre de consommateurs dans le monde entier :

Le modèle, composé d’un masque et d’un tuba, offre aux amateurs de plongée la possibilité de respirer par le nez ou la bouche sous l’eau, sans embout entre les lèvres, d’où sa particularité. Doté d’une vision grand angle, il permet par ailleurs une circulation de l’air en dehors de la vitre incassable, empêchant ainsi la buée d’apparaître. Enfin, le système de respiration par une valve-bouchon qui ferme automatiquement le tuba, évite à l’eau de pénétrer lorsque l’embout supérieur est immergé.

De quoi inspirer la concurrence puisque dans les trois années suivant l’enregistrement de ce modèle communautaire, une autre enseigne sportive commercialise un même type de masque-tuba :

2. Aux termes d’un jugement rendu en février 2020, le tribunal a débouté la demanderesse de son action en contrefaçon de dessins et modèles communautaires enregistrés et en concurrence déloyale et parasitisme. Bienheureusement pour cette dernière, la demande reconventionnelle en nullité du dessin et modèle se trouve également rejetée.

3. Saisie du litige, la Cour considère tout d’abord que le modèle est parfaitement valable, la représentation du masque en cause ne faisant pas apparaître, contrairement à ce que soutient la défenderesse, plusieurs produits. Présenté sous plus de sept vues différentes, le modèle déposé permet de déterminer clairement et précisément la portée de la protection réclamée.

4. L’arrêt relève par ailleurs que la fonction technique « n’est pas la seule à déterminer les caractéristiques de son apparence, des considérations esthétiques ayant joué un rôle déterminant pour la forme du masque objet du dépôt de dessin ou modèle », confirmant en cela la validité du modèle invoqué.

C’est néanmoins la reprise de ces seuls éléments techniques (présence et forme du cadre, aplati de la vitre destinée à assurer la vision, longueur du tuba, forme de la jupe permettant d’assurer l’étanchéité du masque, cloison agencée pour permettre à l’air de circuler, valve de purge…) qui conduit la Cour à écarter la contrefaçon du modèle.

Elle constate en effet que les autres éléments du masque, non imposés par des contraintes techniques (forme du cadre ou du haut du tuba, jeu de transparence, vitre transparente sur la partie basse du masque…) n’ont pas été reproduits. Compte tenu de leurs différences esthétiques, le consommateur averti et doté d’un « certain niveau de vigilance » ne confondra pas les modèles litigieux.

Pour ces mêmes raisons, le risque de confusion sur le terrain de la concurrence déloyale est écarté.

5. Néanmoins,le modèle incriminé a rencontré un vif succès commercial et constitue en cela un produit phare de l’appelante. La demanderesse est notamment en mesure de justifier des lourds investissements publicitaires consentis pour sa promotion.

Dès lors, la Cour considère que la commercialisation concomitante d’un modèle doté d’une même technicité constitue, dans le cas présent, un acte de parasitisme en ce qu’elle manifeste la volonté délibérée de profiter, à moindre frais, du succès ainsi rencontré.

La qualité de leader mondial d’articles de sport invoquée par le parasite qui expose n’avoir aucun intérêt, ni aucune intention de se placer dans le sillage de la victime, est considérée comme indifférente.

Les agissements contraires à la loyauté du commerce sont finalement caractérisés, même en dehors de tout risque de confusion.

La Cour relève par ailleurs l’absence de preuve d’investissements particuliers consacrés au développement du modèle incriminé.

Il sera toutefois observé que les investissements ou efforts dont le parasite pourrait éventuellement justifier n’excluent pas nécessairement la qualification de parasitisme. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation en censurant une Cour d’appel qui « pour écarter tout parasitisme, (…) relève que (l’une des défenderesses) ayant elle-même recherché et acheté les images, qu’elle a travaillées avant de les utiliser pour concevoir les éléments de vaisselle litigieux, les (défenderesses) justifient de leurs propres efforts et investissements ». La Cour suprême relève que ce faisant, les juges du fond ont statué « par des motifs impropres à exclure la reprise, à moindres frais, des investissements allégués par (la demanderesse) » (Cass. Com, 5 janvier 2022, n°19-23.701).

Pour l’importation et la vente en France du modèle imitant, le concurrent indélicat écope d’une sanction financière à hauteur de 100.000 euros en réparation du préjudice subi.

CA Paris, 15 juin 2022, RG n°20/03271 :

1. Le second litige concerne la reproduction d’un luminaire tubulaire doté d’embouts en inox poli brillant, d’une platine en acier laqué supportant la lampe et de bandeaux de fixation en inox, lequel constitue une marque tridimensionnelle :

Classiquement, le célèbre spécialiste en luminaire titulaire de la marque, assigne en contrefaçon et parasitisme la concurrente à l’origine d’une prétendue copie du modèle.

Tout aussi classiquement, la défense oppose la nullité de la marque invoquée pour défaut de distinctivité.

2. Le tribunal rend une décision en demi-teinte, prononçant la nullité de la marque d’une part, et condamnant la concurrente en parasitisme d’autre part.

La perte des droits sur la marque conduit la demanderesse à interjeter appel de ce jugement.

3. Statuant de nouveau sur le caractère distinctif de la marque, la Cour constate que « la forme déposée, ne présente pas, à la date du dépôt, des caractéristiques suffisamment inhabituelles et étrangères au domaine en cause pour frapper particulièrement l’attention du consommateur visé, un luminaire en forme de tube étant très courant depuis les « tubes néon » du début du 20ème siècle de sorte que le consommateur la perçoit comme l’une des formes habituelles de luminaires ».

Elle relève par ailleurs que la marque ne peut bénéficier de l’exception d’acquisition du caractère distinctif par l’usage dans la mesure où « le signe litigieux est constitué d’une forme imposée par la nature et la fonction des luminaires, qui confère au produit sa valeur substantielle, ses caractéristiques techniques et utilitaires étant prépondérantes dans le choix de l’acheteur (…) ».

Cette décision, vraisemblablement logique eu égard au signe déposé, constitue un coup dur pour l’appelante qui perd définitivement la protection accordée à sa marque.

4. Appelant à titre incident, le concurrent tente pour sa part d’échapper à sa condamnation en faisant valoir nombre de circonstances qui seraient, selon lui, exclusives du parasitisme :

  • l’existence de prétendues différences entre les modèles (fermetures, système de fixation du châssis, plateau extractible intérieur) ;
  • la globalité des investissements allégués ;
  • la différence de marchés ciblés par les parties (secteurs de l’énergie/de l’ornemental).

Ces éléments ne convainquent pas la Cour qui confirme le jugement dont appel eu égard :

  • à  la renommée du luminaire revendiqué et aux investissements consacrés à sa promotion ;
  • à l’ apparence quasi-identique du modèle litigieux, de surcroit décliné dans les mêmes formats que le modèle revendiqué ;
  • à l’absence d’investissement consacré au modèle imitant, le parasite ne jouissant de surcroit d’aucune notoriété sur le marché.

La sanction n’est toutefois pas à la hauteur des demandes qui s’élevaient à plus de 3.5 millions d’euros (en application d’un pourcentage sur le montant des investissements pour lesquels il est impossible de vérifier qu’il s’agit de dépenses relatives au modèle revendiqué), puisque la condamnation est fixée à la somme de 50.000 euros.

***

Ces arrêts illustrent l’importance pour les développeurs d’un produit quelconque de conserver tous les éléments susceptibles de caractériser la notoriété du modèle et d’établir sans contestation possible les investissements y consacrés.

Sous ces réserves et lorsque le succès est effectivement au rendez-vous, une action en parasitisme pourrait être recommandée sans qu’il ne soit nécessaire de faire valoir un quelconque droit privatif.

Solène Daguier

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