Artisanat et illustrations jurisprudentielles

  • Post published:19 septembre 2022

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Illustration avec une présentation pédagogique de jurisprudence adaptée aux problématiques rencontrées.

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Cour d’appel de Paris, 14 mai 2008, n°07/06136

Nombre d’artisans pensent à tort qu’ils ne peuvent se défendre face à de grandes enseignes spécialisées dans la décoration intérieure qui disposent de grosses capacités de production et peuvent être découragés face à une production de masse et de piètre qualité, d’articles similaires aux leurs.

Le caractère légitime de leur action n’est toutefois pas discutable dès l’instant où leurs produits sont protégés par des droits privatifs.

C’est précisément dans ce contexte que s’inscrit l’affaire que nous vous proposons d’évoquer.

En l’espèce, une ancienne manufacture de porcelaine et de pièces en grès a imaginé et déposé auprès de l’INPI le modèle d’assiette suivant :

Selon la maison, ce modèle est caractérisé par sa matière (porcelaine lisse pour donner une note chic et sobre) et son rebord ondulé de 5 ou 6 vagues régulières, conférant à l’ensemble « un aspect aérien » duquel se dégage une « impression de légèreté ».

La manufacture constate qu’une grande enseigne de distribution, d’ameublement et de décoration française, commercialise un modèle d’assiette qui en constituerait la contrefaçon au titre du droit d’auteur et du modèle enregistré.

Les premiers juges condamnent l’industriel sur le fondement de la contrefaçon, lequel interjette appel de la décision, donnant ainsi à la Cour l’occasion de rappeler les conditions requises en la matière.

En défense, l’entreprise prétend que ce modèle ne serait pas protégeable dès l’instant où il appartiendrait à un genre répandu de services de tables en porcelaine ou faïence de fabrication artisanale dont les assiettes ou les plats présentent une circonférence ondulée.

Cet argument ne convainc pas la Cour qui relève que la manufacture « ne revendique pas la protection d’un genre, mais la combinaison d’éléments caractéristiques composant son modèle ».

Elle constate à cet égard que l’industriel est en réalité incapable de produire une antériorité de toute pièce.

Le modèle est donc parfaitement valable.

Sur le terrain du droit d’auteur, le modèle est original par la combinaison de ses éléments :

« si certains des éléments qui caractérisent le modèle (…) sont effectivement connus et que, pris séparément ils appartiennent au fonds commun de l’univers des arts de la table, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l’appréciation portée par la Cour doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par la combinaison des différents éléments et non par l’examen de chacun de ces éléments pris individuellement, confère au modèle litigieux une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ».

La Cour confirme ensuite la contrefaçon.

Les quelques différences entre les modèles litigieux sont en effet écartées dans la mesure où elles tiennent « à l’aspect des ondulations qui seraient plus virevoltantes dans le modèle original et plus évasées dans le modèle argué de contrefaçon, à l’épaisseur de l’assiette et à la largeur de ses bords », éléments qui n’affectent pas « l’impression d’ensemble de similitude qui se dégage des modèles en présence ».

La condamnation est à la hauteur du préjudice subi eu égard à cette production en masse de copies d’articles artisanaux.

La manufacture obtient ainsi la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts, auxquels s’ajoute la somme de 15 000 euros au titre du remboursement des frais avancés pour se défendre.

Tribunal judiciaire de Paris, 30 juin 2017, n°15/17558

Les salons professionnels à l’instar de Maison & Objets constituent parfois des occasions pour les artisans de découvrir que d’autres exposants ont pillé leur travail.

Se livre alors une « bataille » entre artisans et/ou galeries auxquels les artisans concèdent leurs droits.  

C’est ce qu’illustre la présente affaire.

Un designer d’origine allemande, spécialisé dans le travail du bois, a créé une collection de tables composées d’un plateau en chêne poli et de pieds en branches de noisetiers :

Ses droits d’exploitation et de distribution ont été licenciés à titre exclusif à une galerie d’art.

Lors de l’édition 2015 du salon Maison & Objets, la galerie constate la présence sur un stand concurrent, de modèles qu’elle estime similaires :

Ces tables ont été conçues par un artisan français, lequel a cédé ses droits à ladite société exposante.

En qualité de licencié, la galerie assigne la société en contrefaçon de droit d’auteur et parasitisme.

La galerie considère que l’originalité de sa table relève de la combinaison suivante :

  • un plateau monobloc, en chêne poli de forme rectangulaire dont les angles sont arrondis ;
  • l’aspect bois clair sur le dessus et noir sur le dessous, de sorte que vu de profil le plateau apparaît bicolore ;
  • la démarcation entre les couleurs bois clair/bois noir, étant approximativement située sur la ligne médiane de la tranche arrondie du plateau ;
  • la présence de 4 pieds en bois noir inclinés légèrement en biais vers l’extérieur selon la forme d’un trapèze, reliés entre eux par des tiges de bois parallèles.
  • du choix des matériaux (noisetiers) conférant à l’ensemble un aspect « brut et artisanal ».

Classiquement, la défenderesse prétend que la table revendiquée ne serait pas originale et communique des modèles similaires présents sur le marché.

Les juges écartent ces antériorités, aucune ne comportant « un plateau d’aspect bois clair sur le dessus et bois foncé sur le dessous, ni des pieds reliés entre eux ».

La table du designer allemand bénéficie donc d’une protection au titre du droit d’auteur dès lors que la combinaison de ses caractéristiques – « inspirées des branchages que l’on trouve dans la nature » – confère à l’ensemble « un style organique, évoquant la matière brute et vivante du bois, qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur ».

Sur la contrefaçon, l’exposante fait observer que le modèle incriminé ne reproduit pas les tiges de bois parallèles reliant les pieds de table et qu’il en résulterait une impression d’ensemble tout à fait différente.

Le tribunal accorde une même importance à ces éléments de distinction, écartant la contrefaçon dès l’instant où « cette différence est particulièrement significative en ce que les liens particulièrement visibles confèrent à la table créée par (le designer allemand) son aspect sculptural et organique ».

Reste le parasitisme sur le fondement duquel la galerie dénonce tout d’abord les échanges intervenus entre les deux designers.

Par le passé, ce dernier lui avait adressé des messages d’admiration (« I’m crazy about your work ») et sollicité des informations sur les tables concernées.

Elle relève par ailleurs que la couleur noire mat de la partie basse de la table est obtenue selon un processus particulier (ponçage du sable et mélange de sciure et de résine utilisé pour l’assemblage), ce qui constitue le fruit d’un travail artisanal particulier que ne démontrerait pas l’exposante pour ce qui concerne le modèle incriminé.

Pour parfaire ce faisceau d’éléments, la demanderesse fait également observer que :

  • les supports de communication de la défenderesse détourneraient le travail du designer allemand en employant « la même terminologie, mettant en avant l’absence d’angles, les courbes arrondies et l’aspect brûlé et veineux des tables » ;
  • son client jouit d’une notoriété relative, laquelle résulte d’efforts de promotion afin de séduire une clientèle exigeante et sélective.

Le Tribunal fait droit à cette demande, considérant qu’il résulte du cumul de ses éléments communs, la caractérisation d’un comportement parasitaire :

« en commercialisation les tables (incriminées) créées par un designer fortement inspiré par le travail de (l’artisan français), lequel bénéficie d’une certaine notoriété dans l’univers de la décoration haut de gamme, et en assurant sa promotion dans des termes évoquant l’univers organique et artisanal qui a fait la notoriété du travail du (designer allemand), la société (exploitante) s’est mis dans le sillage de la (galerie) pour profiter sans bourse délier de la réputation (du designer) et des investissements de communication et de promotion réalisés autour des tables revendiquées (…) pour promouvoir la commercialisation de ses propres tables ».

Mesure de publication, allocation d’une somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi et de 30.000 euros en remboursement des frais avancés, sont les sanctions prononcées pour mettre un terme à ces agissements contraires au principe de liberté du commerce !

Cour d’appel de Paris, 9 juin 2004, n°2003/07211

Les artisans avertis quant à la protection de leurs droits auront plus de chance d’obtenir gain de cause en cas de litige.

Informés sur les règles applicables en la matière, il est plus facile de repérer les cas où les pièces « concurrentes » enfreignent les limites du seul emprunt à des sources d’inspiration communes pour constituer des copies illicites.

L’artisan à l’initiative du procès se présente comme un sculpteur, designer et architecte d’intérieur.

Il créé notamment des objets en céramique, à l’instar du modèle de vase suivant, déposé auprès de l’INPI :

C’est de nouveau lors du salon Maison & Objet qu’est constaté l’agissement litigieux :  un vase identique est exposé sur un stand « concurrent ».

Après obtention d’une autorisation judiciaire aux fins de saisie du vase litigieux (que l’on dénomme la « saisie-contrefaçon »), l’artisan assigne en contrefaçon et concurrence déloyale l’exposant en question.

Si le premier jugement fait droit à ses demandes, l’affaire est renvoyée devant la Cour puisque le défendeur campe sur sa « position » : le modèle invoqué ne serait ni nouveau ni original.

Il oppose à cet égard de prétendues antériorités :

  • l’une, constituée d’un de ses modèles qui aurait précédemment été déposé en Allemagne ;
  • l’autre, issue de l’art ancien.

Ces éléments sont toutefois écartés par la Cour :

  • le modèle opposé ne présente aucune représentation du vase, ce qui ne permet pas de vérifier l’antériorité ;
  • la seconde est certes antérieure mais elle comporte « une conception fort éloignée de celle du modèle litigieux ».

Le premier jugement est donc confirmé dès l’instant où « le volume, les proportions (hauteur, longueur, largeur), la forme qui présente une seule et longue courbe et contre-courbe, donnent au modèle (revendiqué) une fluidité, une simplicité et une élégance qui caractérisent une œuvre de l’esprit originale et nouvelle portant la marque de la personnalité de son créateur ».

Il s’ensuit une absence de débat sur la contrefaçon, le vase incriminé constituant une reproduction à l’identique du modèle revendiqué.

Le contrefacteur est condamné à hauteur de 3.000 euros au titre du préjudice subi, à une mesure de publication et à une indemnité de 3.500 en dédommagement des frais avancés pour se défendre.

Solène Daguier

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