« Barbie », un produit mythique et des enjeux immatériels

  • Post published:13 juillet 2023

La sortie du film « Barbie » réalisé par Greta Gerwig dans les cinémas français le 19 juillet prochain constitue l’occasion de présenter les différents enjeux immatériels gravitant autour d’un objet aussi célèbre que celui de la poupée éponyme.

Barbie - film 2023 - AlloCiné

Apparue pour la première fois au Salon du jouet en 1959 à New York, la figurine Mattel débarque en France en 1963.

Produit mythique par excellence, sa silhouette, ses jambes interminables, sa taille de guêpe, sa chevelure initialement blonde et coiffée « à l’américaine » ont, entre autres, su conquérir les enfants (et les adultes) du monde entier.

Derrière cet empire, il est question de droits immatériels : l’esthétique du jouet d’abord et la marque « Barbie » ensuite.

Mattel détient ce que l’on dénomme un « produit phare », dont on peut légitimement s’interroger sur les limites accordées à sa protection.

I. La protection du visage de Barbie

La figure emblématique de la poupée constitue une marque communautaire notamment enregistrée pour désigner des vêtements.

Aux débuts des années 2000, Mattel découvre qu’une société française commercialise des vêtements revêtus de dessins de poupées présentant des ressemblances manifestes avec Barbie et ses déclinaisons.

L’entreprise américaine saisit les tribunaux français sur le fondement de contrefaçon de droit d’auteur et de marque.

Sur le terrain du droit d’auteur, la demanderesse fonde d’abord ses demandes sur trois modèles déposés au Copyright Office (office américain pour les modèles) qualifiés de « work made for hire » (désignation spécifique des œuvres réalisées dans le cadre de contrats de louage de services et d’entreprise, contrats de travail et contrats de commande) :

  • la tête de la poupée « Barbie Superstar » :
  • la poupée « Neptune’s Daughter Barbie » :
  • la tête de la poupée « CEO BARBIE » :

Dès l’instant où le nom de Mattel figure sur les dépôts concernés, le tribunal relève que la société justifie de sa qualité de titulaire des droits patrimoniaux sur les œuvres ainsi revendiquées ; sans qu’il soit nécessaire de produire des contrats de cession ainsi que le sollicitait la défense.

Sur l’originalité, Mattel détaille minutieusement les combinaisons des traits physiques caractéristiques des modèles revendiqués (« front légèrement bombé » ; « grands yeux » ; « large sourire laissant apparaître une ligne blanche matérialisant les dents » ; « une légère fossette au coin de la bouche » ; « nez légèrement aplati » ; « yeux légèrement en amende » ; « lèvres assez charnues » ; « la base de son visage s’arrondit au niveau du menton qui est peu marqué »…).

La défenderesse verse aux débats de prétendues antériorités et indique que les descriptions susvisées apparaissent génériques au regard des poupées à l’apparence humaine présentes sur le marché.

Ces derniers arguments ne convainquent toutefois pas le tribunal qui :

  • reproche à cet égard à la défenderesse de ne pas avoir opéré de comparaison détaillée des éléments de similarité entre les poupées revendiquées et les antériorités ;
  • considère in fine qu’il ressort de « la combinaison des éléments caractéristiques dont la description est reprise plus haut, que les poupées sont originales et ne sont pas une reprise servile de poupées créées antérieurement et constitutives d’un genre non protégeable ».

La contrefaçon porterait sur dix modèles de vêtements (pantalons de jogging, sweat-shirt et tee-shirts à manches longues ou courtes), lesquels présenteraient en guise de décors, une reproduction servile des déclinaisons de Barbie susvisées.

Le tribunal analyse les articles en cause et conclut que « chacun des types de vêtements référencés (…) reprend les caractéristiques essentielles des œuvres déposées par la société MATTEL Inc. » ; la contrefaçon est donc établie sur ce terrain.

S’agissant du second fondement, l’action en contrefaçon de marque porte sur sept espèces de vêtements (ensemble de jogging, sweat-shirts, tee-shirts, pantalons de jogging) qui reproduirait la marque européenne susvisée.

Parmi ces pièces, le tribunal reconnaît que la contrefaçon est caractérisée pour six d’entre eux dès lors que :

  • les illustrations reprennent les éléments distinctifs de la marque (« la ligne blanche matérialisant les dents » ; « la forme des sourcils » ; « les yeux en amande » ; « la forme arrondie du visage »…) ;
  • les illustrations reprennent les éléments distinctifs de la marque (« la ligne blanche matérialisant les dents » ; « la forme des sourcils » ; « les yeux en amande » ; « la forme arrondie du visage »…).

Par conséquent, la société française est condamnée à la somme de 94.672 euros au titre des préjudices subis par l’enseigne américaine à laquelle s’ajoute le remboursement des frais de défense de cette dernière dans la généreuse limite de 40.000 euros.

Condamnations pécuniaires qui s’accompagnent par ailleurs de mesures de publication, de destruction des stocks et d’interdiction de commercialisation sous astreinte.

(TJ Paris, 13 avril 2005, n°05/15887)

II. La protection du prénom « Barbie » déposé à titre de marque

Mattel surveille les registres de marques du monde entier et s’oppose aux marques susceptibles de générer un risque de confusion avec le prénom de sa protégée.

En France, trois oppositions ont été relevées sur le fondement de la marque « Barbie » pour désigner des vêtements.

Nonobstant la reconnaissance de celle-ci dans le monde – manifestement limitée à l’univers des poupées selon l’office – l’INPI ne fait pas droit aux oppositions à l’encontre des demandes d’enregistrement suivantes ; toutes déposées pour des articles de mode :

  •  « BARBÈS LIFE » ne constitue pas l’imitation de la marque « Barbie », l’INPI relevant à cet égard qu’il « renvoie immédiatement à la vie au sein du quartier parisien de Barbès, évocation absente de la marque antérieure ; qu’il en résulte une perception nette entre les deux signes » et que la renommée de la marque pour des poupées « ne l’est pas au regard des produits servant de base à l’opposition », ie. des vêtements (INPI, 5 août 2008, OPP 08-479) ;
  •  « BARBE » et « BARBIE » présentent une impression d’ensemble différente, « le consommateur qui n’aura pas les deux marques en même temps sous les yeux, gardera nécessairement en mémoire pour le signe contesté la référence à la « barbe », évocation qui est totalement absente de la marque antérieure (…) que de même il ne saurait être déduit de la teneur des observations que le déposant entend faire « référence » à la marque antérieur » (INPI, 12 août 2008, OPP 08-481) ;
  • « Barbe go ! », pour les mêmes raisons que celles susvisées dans le cadre de l’opposition à l’encontre de la demande « BARBE » et avec les précisions selon lesquelles « la présence, au sein du signe contesté, du terme GO, ainsi que d’un point d’exclamation, contribue à renforcer les différences visuelles et phonétiques existant entre les signes en présence » et que « la notoriété de la marque antérieure n’est pas démontrée au regard des produits servant de base à la présente opposition ; qu’en tout état de cause, quand bien même la notoriété de la marque aurait été établie, elle n’aurait pas suffi à compenser les nombreuses différences visuelles, phonétiques et d’évocation existant entre les deux signes dans leur ensemble et à créer un risque de confusion entre ces derniers » (INPI, 13 avril 2012, OPP 11-5008).

L’office européen se révèle moins exigeant dans le cadre des oppositions formées par l’enseigne américaine sur le fondement d’un risque de confusion avec la marque « Barbie » et/ou de la renommée celle-ci ; rejetant les demandes d’enregistrement suivantes :

  • « BARBY CACU » déposée par une société espagnole pour désigner des services visés en classes 35 et 41 (EUIPO, 27 juin 2006, OPP 248 4965) ;
  • « BARBRA » déposée par une société polonaise pour désigner des produits d’entretien et des cosmétiques en classe 3 (EUIPO, 15 septembre 2010, OPP B 134 3195) ;
  • « BARBIEDEW CH BELIEE » (semi-figurative) déposée par une société chinoise pour désigner des produits en classe 3 (EUIPO, 5 octobre 2018, OPP B 296 4180) ;
  • « Barrbee » déposée par une entreprise chinoise pour désigner des métaux, bijoux et vêtements en classe 14 et 25, « les signes sont similaires sont un plan phonétique et aucune analyse n’a de raison d’être conduite sur le plan conceptuel dès lors qu’aucun « des signes n’a de signification pour le public du territoire pertinent » (EUIPO, 27 avril 2022, OPP 313 9066);
  •  « BARBÈS » déposée par une société française en classe 25 ; relevons à cet égard que contrairement à l’INPI dans l’affaire susvisées (« BARBÈS LIFE »), l’EUIPO considère que l’enregistrement du titre caractérise un risque d’atteinte à la renommée de la marque dès lors qu’elle est aussi utilisée pour désigner des vêtements et des bijoux (EUIPO, 17 décembre 2018, OPP B 291 1058).

Plus récemment, il a néanmoins rejeté l’opposition formée à l’encontre de la demande d’enregistrement « BarbiOcean » déposée par une société polonaise pour désigner des services en classes 35, 36, 39, 41 et 42 (EUIPO, 22 janvier 2021, OPP 313 9505) ; la protection européenne n’est donc pas sans limite.

Soulignons par ailleurs que les négociations conduites durant les phases d’instruction des procédures d’opposition aboutissent parfois à des solutions intéressantes. Mattel illustre ce propos dès l’instant où la demande d’enregistrement « BARB » déposée par une société britannique pour désigner des jeux vidéo et services y relatifs en classes 9, 41 et 42, a été retiré à la suite de l’opposition signifiée par l’enseigne en mars 2023.

Enfin, le statut de deux demandes d’enregistrement est encore indécis :

  • « BABI » déposée par une société canadienne pour désigner des poupées en classe 28 (OPP B 311 4118 initiée en mars 2020) ;
  • « BARBARA COLLECTION » déposée par une société moldave pour désigner des vêtements et des services de publicités en classes 25 et 35 (OPP B 317 9967 initiée en juin 2022).

Dans ce contexte, nous pouvons nous interroger sur le sort que réservera l’office américain des marques sur l’opposition déposée le 26 juin dernier par Mattel à l’encontre de la demande d’enregistrement « BRBY » déposée par la non moins célèbre Maison Burberry pour désigner en classes 18 et 25 des articles de maroquinerie et des vêtements.

Affaire à suivre.

***

Clap de fin sur une anecdote : si Mattel a autorisé Barbie à avoir sa propre histoire au cinéma dans le but présumé de « déringardiser » la poupée vieillissante ; il semblerait que le directeur de l’enseigne américaine ne soit pas serein quant à l’image que pourrait véhiculer la réalisation en cause.

Ce dernier aurait, selon le magazine Time, « pris un vol pour se rendre à Londres sur le plateau et se disputer avec Greta Gerwig et Margot Robbie (qui incarne Barbie) au sujet d’une scène en particulier qu’il estimait trop en décalage avec la poupée » (article diffusé sur radiofrance.fr « Le film Barbie, enfin un pas de côté »).

Solène Daguier

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