Une peur bleue de porter atteinte à l’œuvre d’un défunt auteur

  • Post published:6 mars 2023

CA Paris, 6 janvier 2023, RG n°21/03680

L’affaire concerne un célèbre artiste français dont l’œuvre se caractérise par une quête de l’évanescence et de l’éternel, manifestée à travers la création d’une couleur : le bleu outremer, un bleu mat, pur et lumineux, le fameux « bleu plus que bleu ».

Depuis le décès du peintre intervenu au début des années 1960, la mémoire de l’artiste se perpétue :

  • ses héritiers créent une société, laquelle dépose à titre de marques française et européenne, ses nom et prénom pour désigner notamment des articles d’art et de décoration en classe 27 ;
  • sa conjointe survivante préside une entité distincte, chargée de la gestion et de l’administration de ses droits d’auteur, de ses archives et des prestations relatives à son œuvre.

Ces deux entités constatent qu’une spécialiste de tissus d’ameublement et de papiers peints exploite le patronyme de l’artiste pour commercialiser :

  • un panneau mural panoramique baptisé de son nom suivi de la mention « au paradis » ;
  • des déclinaisons de produits de couleur bleue. 

Les mises en demeure se succédant sans résultat, le fils de l’artiste et les sociétés assignent l’indélicate en contrefaçon de marques, parasitisme et atteinte au patronyme.

Par un premier jugement rendu en décembre 2020, le Tribunal judiciaire de Paris rend une décision en demi-teintes et :

  • condamne la défenderesse sur le fondement du parasitisme au préjudice de la seule société exploitant les archives et prestations de l’artiste ;
  • déboute la titulaire des marques de son action en contrefaçon ;
  • déboute le fils de l’artiste de sa demande formée au titre de l’atteinte au nom patronymique. 

Dans ce récent arrêt, la Cour infirme en tous points le jugement déféré.

Sur la contrefaçon de marque, elle constate d’abord que :

  • le papier peint concerné constitue un produit d’ameublement d’intérieur désigné par les marques antérieures ;
  • les signes litigieux ont en commun le patronyme de l’artiste, particulièrement mis en avant dans la dénomination contestée par la mention « au paradis » qui y est associée.

Elle en déduit que l’utilisation de la référence « pour désigner un produit identique ou très fortement similaire à ceux visés par les marques opposées crée dans l’esprit public acheteur de papiers muraux un risque de confusion quant à l’origine des produits, le consommateur pouvant croire que les produits présentés sous cette dénomination proviennent, en raison d’accords entre sociétés, d’une origine commune ».

Sur l’atteinte au patronyme, il est donné acte de ce que l’utilisation injustifiée du nom de l’artiste a causé un préjudice moral à son fils dès lors qu’elle « a été effectuée sans autorisation à des fins commerciales pour désigner des produits ou des couleurs en référence à l’artiste et ce de manière injustifiée pour désigner des panneaux muraux ou des couleurs ».

La Cour accorde ainsi une indemnisation à hauteur de cinq mille euros au profit de l’héritier concerné.

Elle infirme également la décision sur le terrain du parasitisme, au grand dam de la conjointe survivante, qui – par l’intermédiaire de sa société – avait obtenu gain de cause sur ce fondement.

La Cour relève en effet :

  • que les citations et créations litigieuses sont le fait de l’artiste et non des sociétés créées par ses ayants-droits ;
  • qu’aucune preuve relative aux investissements pour la promotion du patrimoine artistique de l’artiste n’est versée aux débats ;
  • que la titulaire des marques ne justifie d’aucun autre investissement ou activité en rapport avec les marques, elles-mêmes exploitées par une société en dehors de la cause qui en serait le licencié exclusif.

Il en résulte que les « appelantes n’apportent pas la preuve qui leur incombe d’actions et d’investissements effectués par elles pour maintenir la notoriété de l’artiste et ne justifient pas d’actes de parasitisme commis par (l’intimée) à leur préjudice ».

***

Rendre hommage à un artiste dans un contexte commercial et dans un domaine équivalent s’avère donc particulièrement mal venu et périlleux. 

Solène Daguier

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