Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 1, 14 décembre 2021, n° 20/05805 : L’efficacité des actions fondées sur le parasitisme pour les créations de mode

  • Post published:27 janvier 2022

Le modèle de pantalon dénommé « JACKY » de la société STOULS, conçu en cuir stretch lavable avec une coupe et des coutures spécialement étudiées et décliné en plusieurs coloris, est devenu depuis 2009 un best-seller de la marque.

En 2017, la maison STOULS constate que la société H8LI commercialise et promeut selon un argumentaire commercial proche de celui qu’elle déploie depuis plusieurs années, deux pantalons présentant de troublantes ressemblances avec sa pièce iconique.

La société STOULS assigne alors sa concurrente en contrefaçon de droits d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire. Par jugement en date du 28 février 2020, le Tribunal judiciaire de Paris fait partiellement droit à ses demandes et considère que les agissements de la défenderesse caractérisent effectivement des actes de parasitisme.

La société H8LI forme un recours contre cette décision, donnant ainsi l’occasion à la Cour d’appel de Paris de rappeler selon quels critères une action en parasitisme doit être appréhendée.

1. La démonstration, côté demandeur, d’une valeur économique individualisée

En l’espèce, la société STOULS caractérise la valeur économique du modèle qu’elle revendique en produisant les éléments relatifs à :

  • l’existence d’un « vestiaire aux coupes minimalistes, épuré et haut de gamme, constitué de vêtements en peau, lavables en machine,  proposés dans des gammes de couleurs variées et dont le modèle phare est le pantalon « JACKY », autrement dit l’aspect emblématique du modèle copié ; 
  • son positionnement « sur un créneau particulier et dans un univers propre et identifiable, caractérisé par le choix de ses revendeurs, sa boutique show-room, l’éventail des coloris susceptibles d’être utilisés, chacun désigné par une appellation particulière et décliné suivant les saisons, assortis d’une communication sur les couleurs et d’un commentaire commercial personnalisé » ;
  • ses « investissements intellectuels et techniques qui font l’objet d’un crédit d’impôt recherche et développement depuis l’année 2009 » ;
  • ses « investissements commerciaux pour créer et maintenir la notoriété de STOULS sur le marché, tant en termes de stratégie de communication qu’au travers de la création d’un show-room puis d’une boutique décorée par un designer à Paris, l’édition d’un site internet et d’un catalogue renouvelé chaque saison, la conception et la production d’un film en Inde « HOLI THE FESTIVAL OF COLOR » (…) contribuant à renforcer l’identité esthétique de la société STOULS » ;
  • la reconnaissance de la marque dans le monde de la mode « comme le démontrent les très nombreux articles de presse consacrés à AURELIA STOULS et à sa société ou les attestations de spécialistes de la mode qui confirment son positionnement identifié et singulier, la rédactrice en chef du magazine ELLE précisant « aujourd’hui STOULS est LA signature de référence pour les vêtements en cuir les plus chocs et stylés ».

2. La faute

La Cour retient  faisceau d’éléments caractéristiques du parasitisme, résultant des agissements suivants : 

  • la commercialisation de modèles « en tous points similaires à celui commercialisé par la société STOULS en ce compris les caractéristiques non nécessaires, telles que l’absence de boutonnage, la ceinture élastique, la forme près du corps, les coupures très spécifiques à bords francs, sans ourlet ni doublure, à hauteur de cheville » ;
  • l’offre à la vente des modèles incriminés « dans un show-room situé à proximité du corner du BON MARCHE consacré aux produis STOULS » ;
  • la reprise de la communication « HOLI THE FESTIVAL OF COLOURS » (fête des couleurs en Inde) de STOULS résultant de l’adoption d’une dénomination « H8LI » se prononçant« HOLI » ;
  • la déclinaison des modèles dans une gamme de coloris (18 au total), parfois peu communs (curcuma, fushia, vert vif…) et quasiment identiques à ceux de l’intimée ;
  • le choix d’un argumentaire de communication similaire à l’esthétique de la marque STOULS (inspiration de visuels marquants, mêmes qualité et conditions d’entretien des vêtements, même association de couleurs ou de visuels sur les publications Facebook ou Instagram…) ;

La Cour d’appel en tire la conclusion que « même si aucune de ces reprises, prise individuellement, n’est en soi fautive, comme tente de le démontrer l’appelante en examinant séparément, un à un, les griefs qui lui sont opposés ; leur accumulation, qui ne peut être fortuite, caractérise la volonté manifeste de la société H8LI de s’inscrire dans le même univers que celui singulier créé par la société STOULS et sa fondatrice depuis au moins 2009 ; alors que les autres entreprises du secteur, travaillant le même type de matière ou commercialisant des modèles proches, ont développé une identité propre et différente, et notamment G-H I, pourtant cité par la société H8LI, à l’origine de la création d’un vestiaire complet en cuir présenté dans un univers esthétique très différent, décrit par la presse comme « sombre et érotique », dont l’appelante ne peut soutenir de bonne foi, qu’il serait repris par STOULS ».

Ce parasitisme est enfin signé par la production de deux attestations démontrant que la fondatrice de la société H8LI s’est référée à STOULS auprès de certaines clientes.

Bénéficiant ainsi indûment des efforts de création de l’univers et des produits STOULS, de son savoir-faire, et des investissements y consacrés, la société H8LI est condamnée.

Le jugement est donc confirmé et l’appelante écope d’une condamnation à hauteur de 45.000€ en réparation du préjudice subi par STOULS.

Une décision pour les griffes de mode trop souvent victimes du détournement de leur univers et de leur identité !

Solène Daguier

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