Protection du savoir-faire : l’intérêt du contrat

  • Post published:13 juin 2022

Les connaissances pratiques, substantielles et gardées secrètes d’un opérateur (entreprise, artisan, créateur…) constituent parfois un véritable savoir-faire. A l’instar des marques, dessins et modèles ou brevets, cet actif incorporel peut représenter une valeur considérable susceptible de faire l’objet de transfert. La rédaction des contrats y relatifs appelle à une vigilance particulière, ainsi que l’illustre un récent arrêt de la Cour d’Appel de Paris.

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 2, 11 mars 2022, n° 20/08972 :

1. En 1988, un designer conçoit pour la société LVM un fermoir « tournant » inspiré des initiales « LV » et conclut pour la création d’une ligne de sacs un « contrat de cession de savoir-faire » en contrepartie d’une rémunération hybride (somme fixe et redevances en pourcentage des ventes prévues). Quelques mois plus tard, les parties s’accordent sur une nouvelle cession pour une ligne de voyages et de loisirs avec cette fois une rémunération forfaitaire.

En 1992, la Maison LV souhaite racheter la redevance du premier contrat « sous la forme d’une somme fixe, représentant l’ensemble des droits de propriété et de jouissance pleins et entiers, attachés aux huit modèles de sacs de ville, d’une part, et au concept de fermeture du « LV tournant » en cas de réutilisation dudit concept par (elle), d’autre part (…) ».

Le designer accepte et signe (en son nom personnel et en celui de sa société) une Convention aux termes de laquelle il perçoit, en contrepartie de la cession des droits attachés :

  • à la ligne de sacs : une rémunération forfaitaire et définitive se substituant à celle initialement prévue dans le contrat signé en 1988 (article 1) ;
  • au fermoir tournant : une rémunération globale et forfaitaire versée « le trentième jour du premier mois qui suivra la commercialisation par (la Maison de Couture), d’un nouveau produit utilisant le « LV tournant » (article 2).

En 2014, le designer constate la commercialisation d’une nouvelle gamme de sacs LV utilisant son fermoir. En application de l’article 2 de la Convention et par l’intermédiaire de son conseil, il réclame le versement d’une redevance. La société LVM adresse alors un chèque à l’ordre de son entreprise que le designer lui retourne aux motifs qu’il n’aurait jamais émis de facture et que la Convention serait entachée de nullité.

A l’appui d’un nouveau constat faisant ressortir l’existence de deux gammes de sacs et de portefeuilles LV reprenant le fermoir litigieux, le designer et sa société assignent la Maroquinerie pour voir notamment :

  • prononcer la nullité de l’article 2 de la Convention ou subsidiairement demander la révision du prix de cession ;
  • juger que l’apposition du fermoir sur des articles non visés dans la Convention sans mentionner le nom du concepteur constitue une violation de son droit d’auteur ;
  • prononcer, sur ce même fondement du droit d’auteur, la nullité des marques figuratives représentant les initiales entrelacées déposées en 2014.

En juin 2020 et après une procédure ralentie du fait de nombreux incidents de communication de pièces, le Tribunal judiciaire ne fait pas droit à ces demandes. Le designer et sa société interjettent alors appel, donnant l’occasion à la Cour d’interpréter les clauses de la Convention et ses conséquences sur les actes de contrefaçon allégués.

2. Le jugement est confirmé en ce qu’il a déclaré que l’action en nullité était prescrite depuis 1997, la Cour d’appel se livre donc à une interprétation de la Convention litigieuse et tranche comme suit les points de désaccord des parties portant sur le périmètre et la portée de la cession :

  • la mention suivante du préambule « en cas de réutilisation par (la Maison de Couture) du concept de fermeture du « LV tournant » sur de nouveaux modèles de sacs de ville ou sacs de voyages de loisirs » doit s’interpréter comme limitant la cession à ces seuls produits de sorte que toute utilisation hors nouveaux sacs est exclue ;
  • la précision « d’un nouveau produit » ne vise pas chacun des produits individuellement mais doit être comprise comme la désignation d’une ligne de sac.

Il en résulte que :

  • la réutilisation du fermoir pour des sacs ayant été expressément prévue, la demande en révision pour imprévision de la rémunération est écartée ;
  • la cession des droits sur le fermoir étant toutefois limitée aux sacs, toute autre utilisation effectuée sans l’accord du designer constitue une contrefaçon.

Par conséquent, la Maroquinerie est condamnée à la somme de 700.000 euros tout chef de préjudice confondu pour avoir reproduit sans autorisation le fermoir sur des portefeuilles, des bracelets, chaussures, ceintures et porte-clés.

Par ailleurs, il est succinctement rappelé que le fermoir litigieux reprend les initiales du fondateur, actif incorporel et préexistant du patrimoine de la Maison. La contribution originale du designer (le système d’ouverture et de fermeture par pivotement des lettres) n’apparaissant nullement dans les dépôts de marque contestés, la Cour confirme le rejet de la demande d’annulation des marques.

3. Interrogée, la société LVM indique que « La maison a toujours respecté les clauses du contrat qui la lie à une artiste ayant conçu un fermoir ainsi que l’a reconnu le tribunal judiciaire de Paris et comme en témoigne le rejet de nombreuses demandes de cette dernière par la cour d’appel » (https://www.lapresse.ca/societe/mode-et-beaute/2022-03-25/utilisation-d-une-creation-sans-autorisation/louis-vuitton-condamne-a-payer-800-000-euros-a-une-creatrice.php).

Affaire à suivre puisque la succombante confirme se pourvoir en cassation !

Solène Daguier

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